Analyses / Réflexions

Et si tout entière maintenant

 

mode records USA MODE 81 (co-édité par MEDIAS ET MEDIAS, 93100 Montreuil, France)

Conte symphonique. (Prix Italia 1987) – Texte de Colette Fellous

Et si tout entière maintenant…

Le Port – Bienvenue – Le repas – La porte – La cabine – Le travail de la glace – Rêve de glace mon Amour – La chambre.

 

A propos de la partition

Pendant que mes amis de La Muse en Circuit et de Radio-France étaient partis pour vivre et enregistrer le brise-glace, je commençais à écrire une musique orchestrale en me laissant porter par une situation que je ne pouvais imaginer que de très loin, et pour cause.

Je me mis à composer de courtes séquences « impressionnistes » qui dans mon idée correspondaient à différents états de la mer et de la glace.

La partition n’est donc pas à lire (ou à écouter) dans sa continuité, mais était destinée à servir par la suite de matériaux à transformer électroniquement et à introduire dans le tissu d’une histoire.

L’orchestre apparaît rarement en tant que tel, joue plutôt en contrepoint avec les bruits naturels, ressortant soudain ou s’enfonçant en eux (se perdant) comme la coque d’un navire.

— Luc Ferrari

 

 

L’aventure avait la forme d’un voyage-reportage sur un brise-glace, navire très spécial, avec ses hommes qui vont, qui s’activent, aux gestes toujours précis et mystérieux, attentifs avant tout aux mouvements et aux glissements de la glace.

Luc Ferrari devait ne pas participer au voyage et composer une image rêvée. Il m’a donc demandé d’embarquer dans ce rêve et de le lui raconter.

Ainsi nous sommes-nous mis au travail. Il m’apportait des sons, je lui apportais des textes : un rythme est né. Nous avons alors emmêlé, démêlé, mélangé les bruits et les mots, les fictions et les réalités, et de cela est apparu un conte symphonique dont la chaleur sensuelle tente de détourner le froid.

— Colette Fellous

 

 

[Extraits du texte]

SEQUENCE 5 – LA CABINE

 

Le pilote parle toujours très près des visages. Et très bas. C’est ce qui m’a tout de suite attirée.

Je reconnais maintenant son parfum et le goût de sa bouche, même s’il est loin.

Tous les matins, il part en reconnaissance avec le capitaine. Sans lui, le capitaine ne pourrait rien voir et le bateau ne trouverait pas les chemins. Il dit aussi que le reste de la journée, il s’ennuie un peu, il ne se passe pas grand-chose sur un brise-glace ou bien c’est toujours la même chose.  J’ai pris l’habitude de le retrouver en fin d’après-midi dans sa cabine. Il ne comprend pas ce que je suis venue chercher sur ce bateau. Je ris, je dis que je ne le sais peut-être pas moi-même. Il raconte ceux qui se sont perdus, ceux qu’il a sauvés juste au dernier moment. Il dit que la glace, c’est tellement imprévisible, tellement menaçant, on peut s’en rendre prisonnier si facilement. Je ne comprends pas toujours ce qu’il dit. Il a les yeux noisette et une cicatrice à la jambe droite. La plupart du temps, il y a très peu de mots entre nous.

Plutôt des gestes.

Je m’amuse à lui apprendre à dire foulard, un peu d’eau, cheveux, qui glisserait, escarpins.

Il demande comment s’appelle cette ligne-là.

Je dis hanche.

Et celle-là ?

Je dis nuque.

Et celle-là ?

Je dis raie.

Il rit. « Comme le soleil ? »

Non, non, pas rayon, raie.

Et celle-là ?

Je dis, j’ai oublié.

Il demande aussi si je connaissais déjà le capitaine avant, cette intimité entre nous, s’il y avait eu un autre voyage. Je dis non, non, c’est la première fois.

 

Et si tout entière maintenant…

 

Conte symphonique de Luc Ferrari

Texte de Colette Fellous

Avec la voie de Anne Sée

Eléments orchestraux : Nouvel Orchestre Philharmonique, direction Yves Prin

Ingénieurs du son : Jean-Pierre Junker, Bernard Charon

Production : Ministère des Affaires Etrangères, Radio France, La Muse en Circuit

Réalisation : Luc Ferrari