Analyses / Réflexions

Symphonie déchirée

— Préface —

Symphonie déchirée est une suite de 8 mouvements et Interludes, pour 17 Instrumentistes et Sons Mémorisés (sur support CD).

Chaque mouvement a une instrumentation différenciée et traite de problèmes compositionnels et esthétiques – ou de significations – différents.

Cette symphonie est hétéroclite ou disparate ou perverse ou mélangée, est une sorte de balancement entre la révolte et la volupté, entre réalisme et abstraction, entre mouvement impulsif et formaliste, entre électro et acoustique.

Commencée fin 94, elle a subi plusieurs bouleversements dus aux troubles des remises en questions personnelles

et du temps qui passe et qui ne se ressemble pas.

Cette symphonie porte en elle une révolte contre tous les racismes, les nationalismes et s’élève d’une façon générale, contre toutes les puretés.

 

Titre des mouvements :

Introduction……………………………………….      1’34

1 – Pénétration harmonique…..…..environ    13’00

Interlude……………………………………………     0’52

2- Jeu des objets………………………………..      3’50

Interlude……………………………………………      0’48

3- Dualité ………………………………………..       3’50

Interlude …………………………………………..      0’44

4- Parole déchirée ……………………………..      4’00

Interlude …………………………………………..      1’02

5- Jeu de timbre ………………………………..      4’30

Interlude …………………………………………..      1’25

6- Jeu des reflets ………………………………        8’50

Interlude …………………………………………..      0’55

7- Les cloches de Huddersfield …………..        3’00

Interlude …………………………………………..      0’46

8- Déchirure ………………………. ..environ     16’00

 

Ce qui doit faire approximativement 70 minutes.

 

Voici quelques précisions « analytiques » sur les différents mouvements.

 

Le premier mouvement a été composé entre janvier et mai 95, c’est pourquoi le texte suivant est daté du 29 mai 1995. Je me permets de signaler ce détail, car nous sommes arrivés en mars 98, et j’essaie de synthétiser les idées qui sont apparues au cours de ces trois années que je désignerais comme porteuses de perplexité.

 

Voici ce texte :

1 – Pénétration harmonique

Oui, c’est cela, c’est une pénétration lente et tranquille.

Une pénétration dans une note centrale à l’intérieur de laquelle on voyage, on observe, on s’intéresse à ses qualités, à ses détails, à ses surprises. Puis on s’aperçoit qu’elle n’est pas simple, par copinage ou par harmoniques, alors on explore aussi d’autres étendues qui n’avaient pas été prévues dans la proposition de départ qui était une note unique.

Mais qu’est-ce qu’unique ?

Ne serait-ce pas encore une idée de pureté qui traîne, ou l’idée d’homogénéité, ou l’idée que simple ne peut être complexe. Alors que justement, la pénétration ne peut que dévoiler la complexité des choses.

Et c’est bien cela que l’on demande, sinon on resterait à la porte, et tous les contes philosophiques, toutes les histoires, toutes les oeuvres d’art s’effondreraient d’un seul coup, de n’avoir trouvé aucun à vouloir y entrer. Bien sûr toute la sexualité serait à remettre en question.

Ainsi peut être entendu le titre : « pénétration harmonique ».  Sans oublier les multiples ambiguïtés et les résonances qu’il peut entraîner dans ses ondulations.  Sans oublier les multiples.

 

2 – Jeu des objets

C’est une composition essentiellement formelle qui se rattache à un concept compositionnel que j’ai appelé « tautologique » et qui me préoccupe depuis mes toutes premières oeuvres. On retrouvera ce type de formalisme dans une des pièces suivantes : « Les cloches de Huddersfield ».

L’idée est de signifier ici que le silence est une sorte de personnage au même titre que le son. Un cycle est donc fait d’un objet sonore et d’un silence. Ce silence n’est pas une prolongation de l’objet, mais il joue un rôle au même titre que lui. Oserais-je dire qu’il joue un rôle insonore ? ou disons, comme objet musical silencieux !

Les objets sonores jouent en tant qu’eux-mêmes. Ils sont autonomes, mais dans la tautologie, ils sont amenés à se superposer. Ils sont alors combinés, ils se complètent ou se perturbent. Ils s’insinuent aussi dans les silences qui leur servent alors de révélateur.

Ainsi, au jeu des superpositions tantôt sonores tantôt silencieuses, avance une forme paradoxale et répétitive, sans que l’on ait fatalement l’image de la répétition, mais plutôt celle d’un devenir hasardeux, dans lequel les objets sont parfois reconnus, parfois méconnus.

 

3 – Dualité

Cette pièce est constituée de deux monologues superposés. Comme deux personnes qui parlent dans le même temps mais de choses différentes. C’est le désir de savoir si deux discours incohérent l’un par rapport à l’autre, peuvent se comprendre, ce qui serait l’originalité du discours musical par comparaison à la parole.

Pour ne rien cacher, je dois dire qu’il y a juste un moment très fugitif où les dualistes ont l’air de se combiner, mais c’est si bref que l’on ne devrait pas avoir le temps d’en prendre conscience.

 

4 – Parole déchirée

Si Dualité peut engager une sorte de gène, cette pièce fait allusion aux sentiments, à l’émotion. Autant dans Dualité la matière sonore était délibérément abstraite, autant ici la référence au langage parlé est évidente. Ne serait-ce que par l’emploi de l’enregistrement comme capture de parole. Toutefois la parole est apparemment insignifiante, et c’est justement là où dans l’inadvertance hasardeuse, elle est le plus diffusément signifiante par le bruit qu’elle fait. Dans d’autres oeuvres, je décris ce genre de démarche comme une recherche de « l’interstice », ou ce qu’il y a entre les mots, entre les sons, ou entre les gestes, et qui a une relation cachée là, avec l’intimité.

Ces « interstices » sont plus ou moins utilisés en boucle, la boucle elle-même comme cliché machiniste, mais aussi, comme révélateur.

 

5 – Jeu de timbres

Du fait de son abstraction, cette pièce ne nécessite pas d’explications particulières. Elle a une forme bien définie dans un système pseudo-répétitif qui se développe dans la pseudo-homogénéïté de ses timbres, ce qui en fait un jeu. C’est peut-être dans cette suite, un des morceaux les plus détendus, ou les moins grimaçants que l’on puisse trouver. Il faut en profiter. Je veux dire par là, que cette suite s’inscrit dans une alternance de tension-détente et qu’elle est nécessaire à l’équilibre dramatique de l’ensemble.

 

6 – Jeu des reflets

Cette composition, même si elle est apparemment abstraite, est basée sur une image complètement réaliste. Comme son titre l’indique, il s’agit de reflets. Il y a deux séquences : l’une désarticulée et chaotique, l’autre ondulatoire et morbido-harmonique. Ce sont les reflets du soleil.

Dans la première séquence ou reflets sur l’eau, j’ai observé que, vu de dessus, la surface de l’eau renvoit deux rayons par vaguelette sur chacune de leur face. Les vaguelettes se déplaçant, les rayons sont perçus par l’oeil comme un parcours aléatoire.

J’ai donc mis dans des réservoirs des notes, des silences, des nuances, etc…, et j’ai choisi pour chaque reflet, deux notes (brèves), une durée de silence, une nuance et une instrumentation. Ainsi la durée des silences change pour chaque instrument, les reflets peuvent se rencontrer, se combiner et se détruire, par l’assemblage de nuances impossibles. Ainsi sont les règles de base. Mais pour moi, jouer c’est aussi tricher. Quand il le fallait, je reprenais ma liberté.

Dans la deuxième séquence ou reflets sous l’eau, j’ai observé que les vaguelettes dessinent au sol, des ondulations lumineuses et mouvantes. Ces lignes bougent à la même vitesse et dans le même sens, mais leurs longueurs sont différentes. L’ensemble de toutes ces lignes compose des losanges qui se forment et se déforment en permanence.

J’ai donc écrit des modes différents mais tous en forme de losange et j’ai fait un plan d’enfer extrêmement strict dont je ne me souviens plus des règles. Mais ça a fonctionné. Ce qui m’importe en fait, c’est l’émotion.

Les deux séquences sont séparées par un grand « Plouffffsss ». 

 

7 – Les cloches de Huddersfield

Après bien des hésitations dues à l’hésitation elle-même devant un projet d’écriture très simple, j’ai enfin été envahi par une certitude douteuse, ce qui équivaut à un certain confort, apparue après un certain nombre de simulations.

Une composition dont le principe est le même que celui des cloches. Une mémoire de cloche. Celles de Blandy-les-Tours (j’avais 12 ans), qui est peut-être un de mes premiers émois, sinon compositionnel, du moins devant l’observation initiale de ce  que j’ai appelé ensuite « la tautologie ». C’est pourquoi, lorsque  l’année dernière à Huddersfield, j’ai entendu les cloches de l’église, elles m’ont rappelée mon enfance et m’ont donné désir d’écrire une partition… simple, s’il le faut !

Ce morceau d’apparence banale, serait joyeusement optimiste, s’il n’était progressivement troublé par le son enregistré (sons mémorisés) d’un déchirement terriblement dramatique et de désespérance, peu à peu allant jusqu’à masquer l’orchestre.

 

8 – Déchirure

Ce mouvement est en même temps la fin et l’initiative de cette symphonie, il y est en quelque sorte déchiré. En effet, déchiré, cela veut dire partagé en deux ; peut-être d’une façon violente. Si je me laisse aller à mon sentiment, je dirais que j’éprouve en même temps un grand désir de vivre et une colère devant la barbarie. Révolte, colère, plaisir, douceur, quel balancement amer, quelle perte de l’équilibre au point de risquer de tomber dans le désespoir. Moi. Là-dedans, je suis déchiré.

Alors comment cela se passe musicalement ?

En se laissant aller à de grandes violences, à une grande colère au risque qu’elle soit sans qualité esthétique, en brisant les idées, en interrompant les développements qui pourraient s’installer ou en les développant trop. Et puis la colère retombe. En se laissant aller à de grandes douceurs même mièvres, mais qui ne peuvent devenir que des grimaces.

Et enfin, en laissant cette grande symphonie sans fin………

Ça, c’est vraiment pervers.