Analyses / Réflexions

Porte ouverte sur ville

Paris, 26 octobre 1993

La bande de Porte ouverte sur ville  est faite en partie de prélèvements hasardeux de radio. Quand dans ma voiture je mets le contact, la radio se met à causer et je l’éteins tout de suite : pendant une seconde, j’ai eu un prélèvement du monde, une bribe de phrase ou de musique, émotion ou langue de bois. Irrationnel, cet instant est saisie, imbriqué dans mon présent, c’est une apparition.

La bande est faite aussi de l’ouverture et la fermeture d’une porte ou d’une fenêtre, apparition de la ville. Surgissement d’un fragment de réalité. Quelqu’un se promène dans cet éparpillement et symbolise la présence de l’observateur. Enfin des sons musicaux « abstraits » se mêlent au tissu réaliste et créent des distances ou des profondeurs de champ.

 

Quant aux musiciens, c’est un véritable contrepoint qu’ils jouent, s’approchant ou s’intégrant aux sons de la bande, dialoguant avec eux ou, au contraire, vivant leur vie indépendante, l’ignorant ou même la contredisant.

 

On ne sait si Porte ouverte sur ville  est une ouverture ou une fermeture. Probablement il y a des deux, c’est ce qui fait le caractère désordonné et quelque peu pessimiste de cette composition.

 

 

Köln, 24 mars 1993

Je lis le texte suivant (Julio Cortazar : Cronopes et Fameux)

« …Quand j’ouvrirai la porte, quand je sortirai sur le palier, je saurai qu’en bas commence la rue (…), forêt vivante où chaque instant peut me tomber dessus comme une fleur de magnolia, où les visages vont naître de l’instant où je les regarde (…), et que pas à pas je risquerai ma vie pour aller acheter le journal au kiosque du coin. »

 

 

Paris, 31 janvier 1993

… où le bruit des media est tellement envahissant qu’on a de la peine à entendre les bruits de la vie.

 

 

Köln, 24 juin 1993

Les rumeurs de la ville ont remplacé les voix du ciel. Radios et télés sont devenues les véritables paroles de dieu. Les gens sont empaquetés par les paroles divines. Ni plus ni moins qu’avant avec les croyances et les églises/religions, mais ce qui les rend encore plus dépendants et fragiles, c’est que ces paroles ne sont pas stables, elles changent tout le temps et se démodent.

Et les gens là-dedans, ils essaient de trouver leur chemin, ils essayent de penser, d’agir, de jouer, peuvent-ils encore avoir des sentiments, souffrir, le plaisir n’est-il pas déjà une chose du passé, la parole est-elle encore possible ?

Et à la fin de la visite on les jette, parce qu’il n’y a plus de place pour la mémoire.

 

 

Köln, 29 mars 1993

L’autre soir j’étais dans un restaurant espagnol, il y avait un rituel ordinaire de restaurant, avec des gens qui entraient d’autres qui sortaient, les uns commandaient, les autres payaient, les conversations étaient fluctuantes et renouvelées. Seulement une chose était fixe : un homme au bar ne faisait que boire et toutes les dix minutes, comme un parfait tautologue, il allait aux toilettes.

Il y avait aussi dans la sono une chanson espagnole, je me souviens, qui disait toujours : fini l’amour fini l’amour fini l’amour, elle ne disait que cela. Et je pensais à notre fin de 20ème siècle, où finit l’amour.