Analyses / Réflexions

Visage I  (1956)

Si maintenant on regarde la partition de Visage 1, on voit que deux méthodes sont confrontées, la sérielle et la répétitive. On voit en effet évoluer une série à travers une superposition de cycles. Mais agrandie. Non seulement des notes mais aussi incluant des objets sonores, ou étendue à l’utilisation des cycles eux-mêmes, dans lesquels cette série de hauteurs apparaît comme un sous-marin ou le monstre du Loch-Ness.

 

Qu’est-ce que c’était pour moi la série à ce moment-là ?

C’était peut-être varier la hauteur des notes pour atteindre à la diversité maximum, c’était disposer d’une sorte de numérotation qui permettait de détériorer mortellement le système tonal dont on voulait sortir en le fracassant. C’était aussi déguerpir d’une forme académique contraignante, et entrer dans l’interdit.

Quant à la répétition, au moment de la composition de Visage 1, elle représentait pour moi, plutôt qu’un procédé, l’observation de l’organisation sociale du temps. La répétition est un endroit où il y a des ressemblances et aussi des dissemblances: si je répète deux fois la même phrase, ce n’est plus le même moment.

Et il faudrait parler là de cycles plutôt que de répétitions, d’une série de cycles, ou d’une intuition d’une série plus généralisée qui s’attaquerait à autre chose qu’aux paramètres des sons et même à autre chose qu’à la forme musicale.

J’imaginais les cycles comme des individus, vivant à des vitesses différentes. Quand ils ne se rencontraient pas, ils étaient indépendants, quand ils se rencontraient par le phénomène des temps différents, ils se transformaient par influence ou par confrontation.

 

C’est ce procédé que j’employais à partir de Visage 1. J’ai dit que c’était une oeuvre sérielle et que la série était à la fois d’objets et de cycles, qu’elle oeuvrait aussi comme série dodécaphonique à l’intérieur des cycles eux-mêmes.

Je ne pouvais toutefois pas appliquer cette méthode d’une façon systématique, car je voulais que les rencontres dues au hasard des répétitions ne modifient pas systématiquement les individus. Je voulais que là, le choix du désir prenne le pas, afin que lui seul décide de la valeur des transformations. Ainsi pouvait être articulé une sorte de mécanique sentimentale et narrative.

 

(extraits d’un texte de septembre 1994)