Tautologos IV (Mars 1996 – Octobre 1997)
Suite symphonique pour grand orchestre et 4 échantillonneurs
Si je donne un titre pareil, c’est sûr que je suis obligé de donner aussi des explications, dans la foulée. Je m’y attendais et les voilà.
Tautologos est un titre que j’utilise depuis très longtemps. Le premier c’était en 1961, au début de mes expériences dans le domaine de ce que l’on appelait à l’époque « la musique concrète ». C’est-à-dire que j’étais parmi les jeunes gens de l’Avant-Garde qui tripotaient dans l’expérimental technologique.
Tautologos pour moi voulait dire : répétition en cycle.
Mais déjà avant, j’étais intéressé par les idées de cycles qui commençaient à s’inscrire dans mes partitions instrumentales.
C’est pourquoi lorsque j’ai rencontré les « répétitifs américains », au début des années 70, je n’ai pas été surpris. C’est cette mystérieuse parenté, le fait que des individus à travers des expériences différentes, font un pas ensemble sans le savoir.
Maintenant si on prend les Tautologos 1 et 2 de 1961, on y entendra très peu la répétition sinon dans un sens très large et un peu vague, ce n’est que dans Tautologos 3 que cette idée est exploitée systématiquement. Mais je vais essayer d’expliquer ce qu’il y a de différent dans l’emploi que j’en fais, des musiques répétitives qui nous sont arrivées dans cette période là.
Prenons par exemple In C de Terry Riley (1965) et Piano Phases de Steve Reich (1967), on est en présence de phrases courtes répétées en boucle et selon des procédés très précis mais différents dans l’un et l’autre cas.
Il y a là une volonté esthétique très nette et qui prend ses distances, c’est le moins qu’on puisse dire, par rapport à l’esthétique issue de la série; notamment par l’emploi des hauteurs et des rythmes. Pourtant les deux, la série et la répétitive, du moins à ce moment là, prennent leur place dans l’histoire des idées contemporaines à l’intérieur d’une conception de musique pure, ou abstraite. On fait des oeuvres musicales qui élaborent et explorent un phénomène musical.
Tandis que mes idées de répétitions, moi qui pioche dans le concret et dans le réalisme, sont venues d’observation extérieures à la musique : comment s’organisent par exemple les actions quotidiennes, les sentiments, les relations sociales et leurs cycles; ou de préoccupations Autobiographe, ou que la composition musicale soit considérée comme autobiographie et la biographie comme cycle.
Et le cycle, comme dans la société ou dans le corps, représente une action plus le temps qui sépare cette action de sa répétition. Le social + le corps + les sentiments + etc….. est considéré comme un magma aléatoire, d’actions répétées en cycles longs et à des distances différentes. Une seule personne disposant d’une provision de cycles qui se confronte à d’autres personnes disposant également d’autres provisions de cycles. On a donc affaire là, en un instant, à une superposition apparemment hasardeuse.
Quelle image alors que de se représenter une station de métro à un instant donné à une heure d’affluence et d’imaginer tous ces gens porteur de cycles différents, et qui à ce moment-là font un mouvement d’ensemble qui n’a rien à faire ni avec l’harmonie ni avec l’esthétique. Ils jouent une partition sans le savoir.
Cet instant est fait d’une superposition d’actions individuelles, qui se répètent en cycle, mais qui ne se retrouvent jamais dans le même arrangement.
Tautologos 4, qui vient plus de vingt ans après Tautologos 3, se situe dans la même idée, peut-être avec des libertés plus grandes, peut-être avec moins de systématisme, encore que la systématique n’a jamais été mon fort ni mon faible.
Au fil du temps les choses évoluent, les cycles se dérèglent ou se joignent. Partis de loin, les cycles se diversifient encore et dans des domaines les plus secrets où le silence fait oublier l’objet du cycle.
Ce qui est intéressant, là, c’est que retrouver des préoccupations anciennes – bien qu’entre-temps ayant servie sans être nommées – et les employer volontairement comme propos, m’a entraîné à faire une musique très différente de celle que je faisais jusque là. Me semble-t-il.
22 Juillet 1996
Bloc
Si je parle ici de magma informel, c’est pour fixer le caractère de l’action musicale et la situation psychologique de l’écoute.
Le désir est de créer dans ce premier mouvement, un son très fort, le plus fort possible et qu’il semble durer très longtemps. Dix minutes exactement, pas une seconde de p;lus. C’est vouloir un morceau de son complètement radical. C’est une volonté de créer un état sonore très particulier, comme un bain.
Ou un mur qui entourerait l’auditeur aurait toutes les apparence de l’immobilité (mais dans immobilité il y a mobilité).
« Bloc » est plutôt comme une sculpture que comme quelque chose qui évolue dans le temps.
Sculpter, c’est bien ici le rôle du chef d’orchestre.
Interstice
L’interstice pour moi est quelque chose qui est « entre », mais qui vient par inadvertance. S’il s’agit de parole, l’interstice est ce quelque-chose qui est involontaire, non programmé dans le discours. C’est un passage, comme un creux ou une respiration qui sert à chercher la suite d’une idée, c’est comme un vertige et même peut-être une peur.
L' »interstice » ne se fabrique pas, mais on le trouve, c’est comme un « presque rien ».
La parole, en dehors de la langue de bois, est une improvisation. Dans la langue de bois, il n’y a pas d’interstice. Dans l’improvisation, au moment où une idée n’est plus directrice, l’inspiration se cherche, quelquefois avec inquiétude : ce creux entre deux idées est infiniment délicieux de fragilité, il est plaque sensible, pour ne pas dire révélateur, il est le creux entre l’espoir et le désespoir.
Les bruits ont aussi leurs interstices, métaphoriquement comme des passages: comme un escalier, bruit de vêtement comme un passage, la caresse est aussi un passage, comme le bruit de draperie, de soieries; je dis cela parce que ce sont des bruits que l’on retrouve dans la composition.
Ainsi est fait Interstice.
Tautologie
Ce troisième mouvement est fait de 21 phrases musicales relativement courtes et qui se racontent dans une ambiance harmonique familière. Chaque phrase est suivie d’un silence relativement long et de durée variable mais calculé. Chaque phrase se répète donc en cycle. C’est ce que j’appelle une tautologie qui est ici le résultat, pendant un temps donné, de la superposition de ces 21 cycles.
Chaque phrase musicale est attribuée à des instruments. Par le jeu des superposition hasardeuses dues à la durée des différents cycles, des impossibilités instrumentales surgissent qui obligent à transformer soit les objets, soit l’instrumentation. C’est ce que j’appelle la tautologie constructive. Il se peut aussi que la rencontre de plusieurs phrases crée une idée nouvelle, c’est ce que j’appelle la tautologie spontanée.
Ce qui explique que cette composition qui est le résultat d’un calcul producteur d’aléatoire et de spontané, doit être entendu comme un frottement des idées, entre réalité des cycles et interférence des éléments.
septembre 1997, Paris