J’ai été coupé (1969)
(musique concrète, réalisée dans les studios du G.R.M.)
En 1969, j’ai écrit un texte sur cette musique. Et j’y disais: « … je ne sais pourquoi, je l’ai appelée J’ai été coupé ou plutôt je le sais mais je ne veux pas le dire. Cela n’a aucun rapport avec la musique. Cela n’a aucun rapport avec moi ou bien ça a un rapport avec les deux peut-être… » etc. C’est drôle ce langage d’époque. L’autre jour, en écoutant cette musique que je n’avais pas entendue depuis longtemps, il m’est venu des images que je vais essayer de raconter.
Dans ce temps-là, nous n’avions pas de synthétiseurs, ni d’écran d’ordinateur, de racks, de boîtes à rythme, toutes choses courantes dans les studios d’aujourd’hui.Et je me suis souvenu comment j’ai fait certains sons et cela m’a semblé un peu folklorique, mais tout de même assez drôle. Par exemple, j’avais trouvé au marché aux Puces tout un lot d’instruments de mesure qui avaient la forme de diapasons de différentes grosseurs. Suspendus à des ressorts d’acier et tournant sur eux-mêmes en montant et en descendant par le fait même de leur poids, ces diapasons émettaient un son vrillé et fluctuant qui se répercutait dans le ressort en une sorte d’écho du plus joli effet. J’avais inventé un autre instrument: simple fil de nylon, mais très long, de quinze mètres peut-être. Tendu au travers du studio, avec un micro en contact à une des extrémités, j’attaquais le fil avec une baguette de bois, ce qui produisait un bizarre son électronique que seul le micro pouvait entendre. Ce qui était drôle et un peu éprouvant, c’est que le fil était si long que pour obtenir des mélodies, il fallait courir plusieurs mètres, et si le fil n’avait pas été aussi long, il n’aurait pas sonné. Je me souviens même que pour le tendre, j’avais utilisé la poignée de la lourde porte du studio, ce qui me permettait, en la fermant, de jouer sur la tension du fil.
Et plein d’autres trucs, mais ça serait trop long à expliquer… Toutes ces images n’expliquent pas, bien sûr, pourquoi j’ai été coupé.