Analyses / Réflexions

Far-West News  (11 septembre 1998 – 30 juin 1999)

 

Au départ, l’idée était quelque chose comme :

un compositeur ayant eu une vie bizarre, remplie de compositions instrumentales et électroacoustiques, spécialiste du micro voyageur, a le projet de faire un parcours aléatoire dans le sud-ouest américain.

 

Ce voyage a eu lieu en septembre 1998.

Jour après jour, la route se déploie, les enregistrements sont datés, les lieux indiqués sur ambiance de voiture (de location), jour après jour, des rencontres sonores se font, des gens sont croisés, la vie est tissée.

 

Au retour et après écoute, se précise le contour d’une réalisation en trois parties, chacune construite de la même manière et avec des événements différents.

 

Après, que dire là-dessus !

 

Cela n’est ni un reportage, ni un paysage sonore, ni Hörspiel ni oeuvre électro, ni portrait, ni une exposition d’enregistrements du réel, ni une transgression de la réalité, ni une narration impressionniste, ni etc.

c’est une composition.

J’ai d’abord pensé qu’elle était manifeste, mais un manifeste doux et dérisoire. J’ai pensé aussi que mes compositions « radiophoniques » étaient une nouvelle manière d’écrire un livre biographique. Ensuite j’ai appelé ça poème sonore autour d’un voyage réel tans il se peut que la poésie joue avec la réalité comme d’un accordéon, que la composition dans certains cas, surtout dans le mien et progressivement dans ma vie, est un jeu pervers avec la vérité.

 

Que dire encore… que le sous-titre pourrait être « ‘poème sonore d’après nature ».

 

Quoi d’autre ?

 

— Luc Ferrari  (Paris, le 23 mai 1999)

 

FAR-WEST NEWS N° 1   (Mars 1999)

du 11 au 16 septembre 1998 de Santa Fé à Monument Valley  (29′ 30″)

 

Transit à Houston.  Il est à peu près la même heure que quand nous sommes partis de Paris. Il pleut complètement. Un autre avion nous prend et nous dépose à Albuquerque. C’est la fin de l’après-midi. Il fait beau.

L’agence nous confirme que la voiture de location nous attend. « Prenez La Sabre » nous précise le responsable. Peu habitué à la conduite automatique, je ne trouve ni la marche arrière ni le frein et je prends un sens interdit dans le parking. Le responsable me réprimande gentiment. « En plus, dis-je, je n’arrive pas à ouvrir le coffre ». Nous chargeons nos bagages. Il dit avec un zeste d’inquiétude « Bonne route, pour Santa Fé c’est en bas à droite et puis c’est tout droit ».

Coucher du soleil sur le désert. Demain je commence mes enregistrements il me semble qu’il y a longtemps que je n’ai pas dormi.

A Taos dans le village indien Pueblo, à travers mes écouteurs j’entends pour la première fois le bruit de mes pas sur cette terre étrangère. Toujours et jusqu’au bout du voyage ce même son sec et crissant. Pas européen.

Et puis les routes. Le silence de la route.

A midi il faut bien manger quelque chose. C’est la plupart du temps difficile de reconnaître où c’est possible. Généralement c’est dans un croisement une sorte de baraque cachée derrière des pompes à essence. C’est plein de gens venus de nul part puisqu’on n’a pas vu une seule maison depuis des heures. Comme nous avait dit un ami « quand vous voyez de l’essence prenez-en » j’ai appris aussi que quand on voyait quelque chose qui ressemblait à un resto il valait mieux manger ! Tres Piedras, Teek Nos Pos, autant de Sandwichs inoubliables.

Je voulais voir Monument Valley. Là nous y sommes. Tant de films, tant de Pub avec cow boy, tant d’images vues et revues. On pourrait tout réciter par coeur. Mais c’est pourtant complètement différent !

Et puis le bruit de mes pas.

 

 

FAR-WEST NEWS N°2   (Mai 1999)

du 17 au 24 septembre 1998 de Page à Grand Canyon (29’45 »)

 

Je voulais voir Page et pas mourir. Page n’est pas Venise bien qu’au bord de l’eau. Je ne pensais pas que Page soit une ville. Tout ne se passe pas toujours comme ça devrait.

Par exemple le bateau sur lequel nous embarquons a un bruit si grave que l’enregistrement numérique en perd tous ses bits, l’eau ne répercute pas les sons comme sur un lac suisse, je réenregistre sur une bande déjà enregistrée je suis furieux et je me traite d’amateur. Je recommence l’enregistrement perdu et c’est beaucoup mieux. Je me sens professionnel.  Nous nous trompons de route plusieurs fois ce qui fait que nous ne trouvons pas certains paysages. Je suis obligé de me remémorer que je suis là pour les sons et que c’est pas fatalement là où c’est plus beau. Même que quelques fois ça ne coïncide pas du tout.

Nous visitons des amis le micro à la main. Ils sont toujours surpris, moi aussi. Pourtant cela fait des années, je l’aime bien. Je veut dire le micro c’est toujours le même. A Monument Valley j’ai oublié ma surchemise dans la Jeep du copain navajo je m’en suis aperçu trop loin. Brunhild a perdu sa casquette du côté de Mexicain Hat et j’ai oublié mon appareil photo chez Phillip Bimstein le maire de Springdale mais je suis allé le rechercher au milieu de la nuit. Ils étaient là tous les deux et nous avons bu un dernier verre.

A Grand Canyon, assis sur un rocher, le micro posé par terre, je déguste un sandwich en buvant un coca cola. Je ne m’interroge pas sur ce que cela pourra devenir musicalement.

C’est un grand moment !

 

 

FAR-WEST NEWS N°3   (Juin 1999)

du 25 au 30 septembre 1998 de Prescott à Los Angeles (28′)

 

Prescott ressemble un peu à une ville européenne, il y a des rues on peut y marcher à pied. Il y a même des gens qui se promènent, certains sont assez percing. Ici on peut dire que l’ on a une meilleures intelligence avec la population qu’à Paris, où le moindre coup d’oeil est considéré comme une agression. Aux alentours c’est le désert, il n’y a pas un minimum de mer à l’horizon y compris 2.000.

Monika est de plus en plus présente à la Télé, elle est aussi de plus en plus grosse. Je pensais que si j’étais elle je ne me baladerais pas en short. Justement le lendemain elle est en short. Clinton a les traits tirés. On dirait qu’il va bientôt y avoir des frappes.

Je suis habitué au désert, une voiture toutes les heures ça va.

J’exagère.

En arrivant à Los Angeles je suis terrifié. Il y a des voitures partout. Nous descendons au début de Welshire Boulevard, l’hôtel est à l’autre bout mais au moins c’est la bonne route.

Une heure après on roule encore.

On sait que la civilisation est là à quelques signes caractéristiques, il y a des buildings, des maisons qui ne sont pas sur roulettes, même des gens habillés en costume, des femmes élégantes en maquillées, un piano bar qui joue post moderne.  Des amis nous emmènent vers les nuits folles de Los Angeles.

Je continue mes enregistrements.

J’irais jusqu’au bout du voyage.

 

— Luc Ferrari (Paris le 4 juillet 1999)

 

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Enregistrements sonores: Luc Ferrari, Brunhild Meyer.

Voix off: Brunhild Meyer, Dan Warburton, Gerard Pape et Stéphane Kim.

Composition, réalisation, montage, mixage et techniques: Luc Ferrari dans son studio « Atelier post-billig ».

Coproduction : NPS, Hilversum – Piet Hein van de Poel et Atelier post-billig