Pensée 1

J’avais composé « solitude transit » pour Anne-Marie Reynaud, un ballet d’une heure et demie. Ensemble avec toute la compagnie, nous avions travaillé à l’élaboration du scénario, puis j’ai apporté des sons et j’ai vu Anne-Marie inscrire la chorégraphie dans l’espace. C’était peut-être la première fois où je voyais les gestes s’inventer l’un après l’autre devant moi, j’assistais à quelque chose de très indiscret. Alors je suis venu souvent, j’ai apporté des séquences et nous avancions l’un et l’autre dans une espèce de synchronisme mystérieux fait de mélange de moments collectifs et solitaires. Ainsi j’apprenais à regarder se créer la danse, je la voyais se faire, comment les idées s’enchaînent, comment on les superpose, comment on les propose en les parlant.

Pensée 2

C’est bien évident que j’avais envie de mettre mon nez de plus près dans la chorégraphie. Alors je l’ai fait, en amateur, mais c’est grâce à Anne-Marie si j’ai eu le courage de le faire. Je me suis dit : il n’y a qu’à faire comme elle. Donc j’ai demandé à une danseuse de venir me voir, je lui ai dit « d’abord tu restes assise 5 minutes sans bouger, ensuite tu te lèves; 1, 2, 3, tu bouges un bras, 4, 5, 6, tu bouges une fesse ». Et je lui montrais. Enfin, surtout pour rester assis sans bouger. Et ça a marché, on a joué à Berlin.

Je marche pas à pas, mais là, je fais un angle droit pour aller cueillir un brin de fenouil pour l’apéritif.

Pensée 3

Anne-Marie est très ouverte et très généreuse. Elle accepte que j’intervienne dans des domaines qui ,ne me regardent pas. Ce qui me permet d’oser dire toutes les bêtises qui me passent, sur la quantité il y en a qui sont moins bêtes que d’autres et nous en profitons. Je parle là de BISTRO.

Nous avons passé quelques jours tous ensemble à Nevers à travailler du matin au soir. C’était très chaleureux, dans un savant compromis entre discipline et liberté, entre rigueur des horaires et relâchement du temps. A discuter aussi. C’est là où la liberté de parole m’a semblé être utilisée comme un instrument de travail. La parole sans complexe qui permet justement d’atteindre à l’imagination à travers la spontanéité, sans peur et sans reproche.

Pensée 4

A Nevers, la compagnie habitait un gîte, une grande maison à dix kilomètres, perdue dans la campagne, entre un bras de rivière et plus loin, un étang, au bord d’une petite route. Nous sortions une grande table et des chaises sur la route et nous dînions en discutant, détendus, mais aussi comme une sorte de continuation normale de travail de la journée. Un soir, il a fait froid (les danseurs ne sont vraiment pas frileux) et chacun m’a prêté un vêtement. J’ai fini la soirée avec tous les pulls de la maison.

Le lendemain on a fait un feu sur la route.

— Luc Ferrari