Analyses / Réflexions

SOCIETE I

J’ai écrit en 1965 une « partition-texte » appelée SOCIETE I.

Cette partition mettait en scène un orchestre de 8 musiciens leur donnant des règles de jeu (comme dans un jeu de société). Chacun, en suivant cette partition, avait une relation absurde avec la société et était déchiré entre l’individuel et le collectif.

Ainsi la partition proposait un état immobile dans lequel les individus jouaient leur rôle sans pouvoir jamais se communiquer. La structure hiérarchique donnée en exemple est l’orchestre qui est, en fait, pris comme symbole ou comme microcosme de la société.

Chaque « musicien » a sa psychologie et un rôle à jouer.

 

Voici des extraits de la partition d’origine :

Cette partition devrait être réalisé dans un bar, ou un café-théâtre.

Dans un local disposant d’une sorte de scène ou estrade et d’un lieu de consommation où les consommateurs consomment sur des tables dispersées, assemblées autour d’une pièce maîtresse appelée comptoir qui en somme sert à servir les consommations courantes et à compter et décompter jusqu’à ce que la balance change-paiement-crédit-escompte-emprunt soit équilibrée.

 

Quelques instrumentistes ou acteurs vrais ou faux sont sur la scène et jouissent d’une partition vraie ou fausse. (Je ne sais si cette partition existe, c’est pourquoi on peut remplacer son absence par une fausse partition qui à ce moment-là deviendrait vraie. C’est comme les lois, avant qu’on les invente, elles n’existent pas, une fois qu’on les a inventées, elles existent comme lois et comme sacrées.)

Ils ont en plus une liste de choses à faire, appelée Partition d’action.

Ils peuvent répéter plusieurs fois une action, ou en boucle une série d’actions s’ils le jugent nécessaire, en fonction de l’intérêt qu’ils éprouvent et de l’organisation de l’ensemble du moment.

A la fin de la partition d’action, reprendre au début.

Ils doivent tenir présent à l’esprit qu’une action doit gêner les autres, essayer de pousser si besoin est, cette gêne jusqu’au désordre.

 

Société I symbolise modestement la société. Un certain nombre de personnes sont réunies dans un lieu donné, c’est un terrain sur lequel se fabriquent les gestes d’un certain nombre d’individus.

Ces individus ont une vie privée, donc sont indépendants les uns des autres, mais vivent en commun dans une société réglée de lois, d’habitudes, coutumes et conventions.

 

Chacun a son métier et son caractère, chacun sa psychologie et ses réactions.

 

Ça c’est donc la partition de 65. J’en parle parce que c’est un point de départ.

 

En automne dernier, 1980, Maurice Fleuret me demande de monter un spectacle théâtre et musique pour le Musée d’Art Moderne dont il s’occupe. Et, je lui propose SOCIETE I, en lui disant que j’aimerais travailler non pas avec des musiciens comme c’est le cas généralement pour le théâtre musical, mais avec des comédiens. Je propose également Didier Flament, metteur en scène dont ce que j’avais vu de son travail, m’avait semblé tout à fait intéressant. Didier Flament et moi décidons de faire un travail d’improvisation sur la partition originale et de construire un scénario à partir de là. Didier Flament réunit un groupe de comédiens dont chacun joue un peu d’un instrument. Ainsi est composé l’orchestre.

Pendant trois semaines, nous répétons et écrivons le scénario. J’écris aussi la musique en fonction des capacités instrumentales de chacun. Certains ne savent jouer que trois notes et je compose avec.

Le scénario que je ne saurais raconter se résume en quelques idées simples dont l’action scénique et musicale est complexe : Un orchestre venu de l’étranger donne un soir un concert dans un casino de province. Les « musiciens » sont habillés en tenue de soirée « très rétro ». Ils parlent une langue imaginaire. On voit l’orchestre comme une structure dans laquelle le pouvoir est répercuté par le compositeur et donc par la partition.

Le pianiste responsable et chef de l’orchestre fait une présentation de l’œuvre (caricature d’une analyse intellectuelle d’auteur). Si son langage est inventé, il est parfaitement compréhensible. Les comédiens avec lesquels Didier Flament travaille pratiquent depuis plusieurs années le langage inventé. C’est une recherche de communication dans laquelle le langage est cohérent sans qu’aucun mot soit connu.

 

1981