Analyses / Réflexions

Tautologos II  (1961)

Dans TAUTOLOGOS II enfin, Luc Ferrari s’efforce de rendre sensible, au travers des variations apportées à une collection restreinte de matériaux fortement diversifiés, le processus de création qui naît de la répétition inlassable d’une même structure.

Une tautologie – si nous devons en croire le Petit Larousse Illustré – est la « répétition inutile d’une même idée en des termes différents ».

Mais la Nature ne se soucie guère d’utilité ni de progrès logiques d’une proposition à l’autre. Inlassablement, elle rabâche le même cycle de jours et de nuits, ou de saisons, et l’apparente variété des événements ne résulte que de la multiplicité des interférences possibles entre quelques lois permanentes. L’œuvre d’art retrouve les mêmes rapports de répétition et de variations. A la différence de la Nature, elle ignore même l’achèvement nécessaire à l’évolution. Tout son développement étant déjà inclus dans l’instant initial, cette création d’un esprit humain toujours amateur de perfections prématurées, se referme plus rigoureusement encore sur une tautologie.

Luc Ferrari a été particulièrement sensible à ces correspondances. Déjà dans une précédente série de compositions qui portaient toutes le même titre de Visage, il s’efforçait, à travers des moyens instrumentaux différents, de rendre sensible une même intuition. Ayant, après coup, découvert à quelles lois naturelles il avait obéi, il les a, dans cette nouvelle série, adaptés consciemment comme principes de construction.

La tautologie – abstraction faite de celle qui s’établit déjà d’une œuvre à l’autre à l’intérieur de sa série – est ici de deux sortes : aux répétitions perceptibles dans le temps, qui nous sont les plus familières, et qu’on pourrait qualifier « d’horizontales », s’en ajoutent d’autres, « verticales », relatives à la matière sonore.

Pris isolément, les sons employés présentent en effet des analogies de matière. Mais, au bout d’un certain nombre de superpositions, la perception de cette matière indifférenciée s’efface, au profit d’une perception de densité sonore qui, dans le temps, s’organise en une forme. Cette forme, à son tour, se répète dans chaque séquence.

Il ne s’agit là, répétons-le, que d’un principe de construction. Et cette construction ne se vaut pas autre chose qu’un ensemble de moyens, le support d’intentions essentiellement dramatiques, qui seules peuvent lui donner un sens. Entre compositeur et auditeur, elle n’est, comme la grammaire dans un dialogue, qu’un intermédiaire, auquel l’un comme l’autre des deux interlocuteurs auraient tort de s’attacher.