Analyses / Réflexions

Jeu du hasard et de la détermination  (1998-1999)

pour piano percussion et sons mémorisés – (22’30)

Concept

C’est une idée qui n’est pas très éloignée de celle que je travaille depuis pas mal de temps. Que ce soit les objets trouvés et comment et où on les trouve, que ce soit le travail sur les cycles (tautologie) qui fabrique des rencontres fortuites, j’ai toujours été et je le suis encore, fasciné par ce que produit ce que l’on appelle le hasard.

C’est d’abord une réflexion sur l’individu et pourquoi il se trouve à tel endroit à tel moment. C’est ensuite une réflexion sur le collectif qui est fait d’individus qui se croisent à tel endroit et à tel moment.

Un individu est fait d’un ensemble de rythmes, physiques, émotionnels, sociaux, etc… qui se combinent, quelquefois en se répétant et qui le font bouger, ou tout simplement vivre.

La société est faite de plusieurs individus dont les rythmes s’affrontent se confrontent et s’échafaudent. Le social c’est le frottement de tout ce magma dans la continuité des moments.

D’une part, l’individu est déterminé dans ses moments, d’autre part la société est le réservoir hasardeux de ces mêmes moments et elle les brasse et en assume la diversité, quelquefois elle les canalise par des protocoles.

 

Méthode

Et comment ce concept peut devenir composition ou création artistique la question était posée dans beaucoup de mes travaux. Que ce soit par l’expérimentation de la superposition des cycles de différentes longueurs (les tautologos), que ce soit par les jeux des réservoirs (fable de la démission et du cendrier).

Justement le cendrier, si on le détourne de sa fonction qui est de collecter les cendres, du fait de sa contenance peut servir de réceptacle d’objets comme par exemple des notes et même des accords, des silences, des rythmes, des objets complexes, etc. je l’ai fait, mais quel tracas !

 

Dans ce nouveau projet, mon idée était de dire par exemple : j’ai une durée et j’ai des sons et je voudrais un instrument (qui ne soit pas moi qui les placerais avec une détermination d’enfer), mais quelqu’un de neutre, comme un logiciel… J’ai donc demandé au GRM de me fabriquer un programme qui me ferait cela sans douleur.  François Donato a conçu l’objet que nous avons appelé « le cendrier informatique », dont le rôle était de dire à quel endroit dans la durée totale, chaque son devait se situer.

 

Détermination

J’ai décidé de composer 21 minutes parce que je trouvais que c’était une durée intéressantes. J’ai décidé qu’il y aurait des sons (que nous appellerons dorénavant ‘éléments’) des éléments qui iraient de bref jusqu’à long, maximum 45″. Il a donc fallu que j’imagine combien d’éléments on pouvait mettre dans 21 minutes et j’ai décidé qu’il en fallait, tout bien pesé et après simulations multiples, 371.

Tous les sons mémorisés (souvent fignolés de façon radicale) sont des sons instrumentaux, c’est pourquoi j’ai décidé que la bande serait parcourue d’un bout à l’autre par une ambiance réaliste mais floue (c’est-à-dire du réalisme ambigu).

Quelques mots sur cette ambiance : il s’agit de la gare de Los Angeles qui est une très jolie construction style mexicain. Il y a un très grand hall avec un son doux et légèrement réverbérant, qui a l’avantage d’être pourvu de grands fauteuils en cuir très confortables. Il s’agissait donc pour moi de me poser dans un fauteuil, de poser mon micro sur l’accoudoir et d’enregistrer un plan séquence de 21 minutes. J’ai alors disposé ce son dans le mixage, il n’y a aucun montage, je promets.

 

Composition

Il y a deux types d’éléments, ceux qui vont composer la bande, et ceux destinés aux instrumentistes.

Pour les sons mémorisés, il a fallu imaginer tout un magasin d’éléments qui puissent aussi bien marcher ensemble que se contredire dans leur diversité et ceci sans savoir comment ils allaient être assemblés.

Pour les éléments instrumentaux, il a fallu inventer des caractères dans l’abstrait, en définissant par principe leur identité par instinct et par goût, tout en ne sachant pas où et comment ils allaient se combiner.

 

Sons Mémorisés (il y en a 295)

J’ai choisi des caractères relativement ordinaires mais disposant de qualités sonores d’une grande subtilité (c’est moi qui le pense) : éléments percussifs, éléments rythmiques, éléments harmoniques évoluants, éléments confus. Chaque élément ayant une durée et une tessiture. Chaque élément se répétant un certain nombre de fois, mais jamais exactement pareil.

 

Sons instrumentaux (il y en a 76)

Pour les éléments destinés aux instrumentistes, il a fallu forger des familles de caractères que j’ai piquées dans mes habitudes bien que je me défende d’en avoir, comme par exemple : rassemblé rapide ou dispersé rapide irrégulier ou bien deux pôles pulsé tempo rapide ou encore montée accord réguliers tempo lent, etc…

Quelquefois il arrivait que par le jeu du hasard, certains caractères contradictoires étaient destinés au même instrumentiste, donc techniquement acrobatique.

Il fallait alors trouver des solutions. Je les ai trouvées.

 

Hasard

Comme je le disais tout à l’heure, tous les éléments étaient numérotés de 1 à 371. Il suffisait ainsi de me laisser conduire par le cendrier informatique et construire la bande et la partition instrumentale. Ce que j’ai fait. Sans tricher. Du moins pas trop.

Ce qui est curieux, en dehors du fait que des éléments sont tombés en composition d’une façon surprenante, c’est que le hasard a créé une forme cohérente et même un peu conventionnelle : une sorte de grand crescendo d’effervescence vers le troisième quart de la pièce.

En plus le cendrier a eu l’audace de terminer le travail en choisissant le son le plus conclusif de la collection. J’ai trouvé que c’était à la limite du mauvais goût. Mais j’ai laissé.

Et sur ce terrain meuble qu’est un hall de gare, se croisent des êtres (sons, éléments, créatures), animés par des choix ou des obligations individuelles, réunis un instant, par le seul fait de la coïncidence, dans ce lieu délimité par des quais mais en même temps ouvert sur la géographie.

Ainsi va le train de la composition, dans ce hasard diffus et cette détermination furieuse.

 

Comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas triché, du moins pas trop.

 

Paris le 22 septembre 1999

 

Réalisé à l’Atelier Post Billig avec l’aide du GRM

(Commande spéciale de Madame la Ministre de la Culture et de la Communication)